Ma famille n’a jamais été ni riche ni pauvre, vous savez. On vivait sur le bord de mer, sur le coté ouest du continent. Mon père était un pêcheur, et ma mère vendait ses poissons au marché. Nous étions heureux. J’étais la dernière de la famille : j’avais quatre grands frères et une grande sœur. Tout allait bien, pour moi, pour eux. Ma vie n’était pas parfaite, mais elle était ce que je rêvais, à cet âge où les enfants ne sont pas encore conscients de ce qu’il se passe autour du monde, des guerres et de la cruauté. Je n’étais que moi, jouant dans le sable à moitié nue, sans penser une seconde au manque de pudeur que je pouvais avoir. J’étais heureuse.
Mais, un jour, tout a changé. Je devais avoir cinq ans lorsque des pirates ont attaqué. J’étais sur la plage, en contrebas de mon village, et je n’ai pas compris tout de suite lorsque des bateaux se sont échoués sur le sable autour de moi, et que des hommes armés jusqu’aux dents en sont sortis, hurlant. J’ai eu l’impression que le monde s’arrêtait de tourner, que tout ralentissait, lorsqu’ils me sont passés autour en hurlant. Et puis, je me suis retournée, et je les ai vus attaquer le village. J’ai tenté d’arriver sur place le plus rapidement possible, chose compliquée pour une enfant. Je me suis précipitée chez moi, je les ai vu égorger mes frères, violer ma sœur et ma mère, je les ai vu forcer mon père à regarder. C’est la première fois que je voyais du sang, autre que le mien. C’était la première fois que j’entendais ma mère hurler, mon père supplier… Et puis, ils se sont tournés vers moi.
C’est la première fois que j’ai utilisé mon don de vent. La toute première fois que ce hurlement s’éveillait en moi, et que l’air devenait ma raison de vivre. Je les ai tous tués, ce jour là. Tous. Et puis, elle est arrivée.
Anne Bonny. Cette femme qui a changé ma vie. Elle est sortie de nulle part et elle m’a prise dans les bras. Elle a sécurisé le village avec ses femmes, puis nous avons pris les bateaux abandonnés par les pirates sur le sol. Elle ne m’a pas laissé le choix, et elle ne m’a pas non plus demandé mon avis. Je suis devenue mousse sur son bateau. J’ai grandi sur le Pearl, avec les femmes d’Anne pour seules compagnes, et je me suis endurcie. L’une d’entre elle possédait elle aussi un don de vent, et elle m’a appris tout ce que je sais aujourd’hui. Sur terre, je n’ai jamais réellement été à ma place. Je ne suis pas une terrestre, et je ne le serais jamais. La mer est rapidement devenue ma compagne, et le pearl l’unique raison de ma vie. Je n’avais que quinze ans lorsqu’Anne ma nommée seconde, au grand dam de certaines de ses pirates. Mais, lorsque j’ai commencé à récupérer de vieux navires marchands et que j’ai proposé d’agrandir notre flotte de pirates, elles ont sauté sur l’occasion.
Anne a choisi de se retirer le jour de mes vingt ans, et elle m’a confié le Pearl et les autres navires. Aujourd’hui, j’écume les mers à la tête de sept navires de pirates. Mon équipage est le seul composé totalement de femmes. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à faire confiance à ces hommes, à ces pirates qui ont détruit ma famille, et qui auraient détruit ma vie si je n’avais pas eu ce pouvoir.
Ma vie me convient, cependant. Mes pirates me sont fidèles, et la cruauté dont je sais faire montre pour ceux qui ne savent pas rester dans les clous que je leur impose me garantit leur fidélité. Pour combien de temps ? Je ne le sais. Mais, je ne dors jamais sur mes deux oreilles.