Ce matin, la mer est calme. Trop calme. Il n'y a pas une brise pour gonfler les voiles et le navire reste désespérément immobile, bercé par les minuscules vaguelettes qui caressent la coque. Je soupire d'agacement, accrochée comme j'aime le faire aux cordages les plus hauts. Où que je regarde, il n'y a nulle terre en vue. Nous sommes encore loin du port et les provisions risquent de ne pas être suffisantes. Il va sûrement falloir se rationner et ce n'est pas une pratique que les pirates aiment particulièrement. C'est dans ce genre de circonstances que les mutineries se déclarent. Faim, déshydratation, peur de manquer, ce sont les fléaux les plus dangereux lorsque l'on vogue sur la mer. J'observe d'un regard discret mais acéré les matelots travailler sous moi. Je surveille notamment ce truand d'Offryn qui doit encore être en train de chercher un sale coup à faire pour sauver sa peau. J'ai eu le temps de m'habituer à ses tentatives d'arnaque, puisqu'il est presque toujours dans l'entourage de Dastan. Je grimace en le voyant disparaître discrètement dans la cale. Pauvre fou. Il croit sûrement que sa discrétion de voleur est ultime et que personne ne l'a vu s'éclipser. Je lève les yeux au ciel et descend du filet en une série d’acrobaties souples. J’atterris sur le pont sans faire un bruit et m'adosse contre le mat à côté de la sortie de la cale. Il ne m'échappera pas. Lorsque Offryn ressort, je trouve que ses poches sont bien trop volumineuses à mon gout. En pinçant les lèvres, j'émets un sifflement agacé, ressemblant à celui d'un serpent en colère. D'un geste vif et sec, je l'attrape par le col et vide les poches de son pantalon en toile. Chacune cache une belle pomme rouge sortie des réserves. « Espèce de sale petit voleur égoïste... » Je grommelle, mécontente. Je resserre ma prise et commence à le traîner vers le bastingage. « Je vais t'apprendre à voler les vivres, ignoble petit rat ! » Je dis plus fort tout en le poussant violemment à la mer. Du haut de son nid de pie, Sean repère les mouvements dans l'eau et s'écrie : « Un homme à la mer !!! » Un sourire cynique s'étire sur mes lèvres alors que je croise les bras en regardant Offryn faire la brasse contre la coque du navire. « J'ignorais que les rats savaient nager... » Dis-je d'un air moqueur.

J'ai beau apprécier Dastan et son fichu raffiot, si il y a bien une chose qui m'énerve avec ce pirate, c'est qu'il ne saura jamais prendre suffisamment de réserves pour éviter à son équipage de se serrer la ceinture la moitié de la traversée. Accorder de la place dans la cale aux éventuels profits à venir, je l'entends parfaitement, mais ce n'est pas avec une armée de squelettes qu'on prend un navire. Enfin, Dastan est une tête de mule, et on ne le changera pas, alors je ne vois même pas pourquoi essayer.
Pour ma part, je me suis plus ou moins fait ma réserve personnelle, de manière plus ou moins honnête, et même si je suis de même que les autres astreint à diminuer mes rations, je me permet une liberté de temps à autres. Comme aujourd'hui, où je me faufile jusqu'à l'ouverture de la cale avant de descendre à l'intérieur. Une fois en bas, je me glisse entre les tonneaux jusqu'à trouver ma planque personnelle d'où je prends deux pommes que je glisse dans les poches de mon pantalon avant de tout remettre en place pour remonter.
Un sifflement désagréable m'accueille cependant au dessus de la trappe menant au pont, et je n'ai que le temps de tourner la tête qu'une main se saisit de mon col. Pitié, pas elle! S'il y a bien une personne sur ce navire avec laquelle je ne m'entend pas, mais pas du tout, c'est bien celle là... Quelle idée a bien pu me traverser l'esprit pour la mener au Dark celle là, j'avoue ne rien en savoir. Trop sobre ce jour-là, sans doute. Enfin, quand on me dit que le caractère n'est pas quelque chose de génétique, j'suis désolé mais comme demi-soeur de Dastan, elle a effectivement récupéré une sacrée moitié de son caractère...pas la bonne cependant, comme elle ne sait que gueuler sans raison. Dastan sobre et contrarié en version féminine... Leur paternel aurait du éviter de reproduire, sincèrement.
Enfin, pour en revenir à notre sujet, je me fais dérober mes pommes sans avoir plus que ça le droit de l'ouvrir et malgré toute la résistance que je lui offre je me fais trainer sans ménagement jusqu'au bastingage avant de voir les flots arriver vers moi plus vite que prévu. Saleté de gonzesse! Je ressors la tête de l'eau, nageant comme je le peux pour la garder hors de l'eau tout en recrachant l'eau que j'ai avalé, félicitant intérieurement l'oeil de lynx de Sean de manière tout à fait ironique. Non, sans blague, un homme à la mer? J'avais pas remarqué.
"Allons Will', toi et moi on sait très bien que derrière tes mauvais coups tu me déteste pas tant que ça!"
Qui aime bien châtie bien comme on dit. Bon, Sean, t'es bien gentil, mais la corde elle arrive en quelle année? J'veux bien qu'il n'y ai pas assez de vagues pour faire bouger le Dark, mais je suis un peu moins lourd que ce navire et moi, je prend la tasse à chaque vaguelette.

Je crois sincèrement qu'il n'existe pas spectacle plus amusant et relaxant que celui d'Offryn, nageant contre la coque du navire pour ne pas se noyer. Je suis étonnée qu'il soit capable de ne pas couler tout de suite, j'ai du sous-estimer son terrible instinct de survie. Même avec le poids des guenilles qu'il appelle lui-même ses " vêtements ", il semble déterminé à garder sa tête de rat hors de l'eau. Le remue-ménage a alerté quelques membres de l'équipage qui viennent se régaler de cette vision hilarante. Offryn a l'air aussi à l'aise dans l'eau qu'un ver de terre dans le nid d'un aigle. Il ne manquerait plus qu'on croise un requin ou une sirène pour que les choses deviennent réellement intéressantes. Malheureusement, je ne peux savourer pleinement ce moment car l'escroc peut encore parler. Tout bien réfléchi, j'aurais peut être du le bâillonner avant de le jeter à la mer. « Allons Will', toi et moi on sait très bien que derrière tes mauvais coups tu me déteste pas tant que ça ! » Je lève les yeux au ciel. Je me demande comment il peut croire à de pareilles foutaises. Quoique dans un sens il n'a pas tort. Je ne le déteste pas. Ce serait lui donner bien trop d'importance. Je hausse les épaules et rétorque avec un ton acide. « Je ne te déteste pas. Je te méprise, ce qui est tout à fait différent. » Je suis méchante avec lui, j'en ai conscience, mais d'un autre côté il ne me laisse pas le choix. Son attitude me pousse dans mes retranchements. Je m'accoude au bastingage pour mieux l'observer faire la brasse, crachant l'eau qu'il avale à chaque vaguelette. Je me demande quelle est son endurance dans ce genre de cas. Combien de temps pourra-t-il se débattre avant de se noyer ? Certes je n'ai pas vraiment le droit de le laisser mourir, Dastan ne me le pardonnerai pas. Dieu seul sait ce que mon frère peut bien trouver à ce demeuré. « Vraiment, pour un rat, tu te débrouille plutôt bien. Je suis impressionnée. » Dis-je avec cynisme. Ce crétin est réellement en train de toucher les bas-fonds de l'échelle sociale.
Un sifflement provenant de la cabine du capitaine m'informe que la récréation est finie. Je suppose qu'il a du voir la scène depuis sa fenêtre. Ce signal signifie que je dois faire remonter l'imbécile qui lui sert d'ami. Je grommelle et attrape un cordage que je lance à l'eau. Toutes les bonnes choses doivent avoir une fin, sans doute, mais j'aurais aimé pouvoir en profiter quelques minutes de plus. C'est donc un peu agacée que je regarde Offryn grimper sur le pont avec l'élégance d'un albatros bourré.

Détester, mépriser, excuse moi, j'arrive pas à voir la différence. A moins que ce soit ce qui ai permis qu'elle attende pas uen zone envahie de requins pour me jeter à la flotte... nan, ça c'est l'impatience qui a mené à ne pas réfléchir à l'endroit de la mer où on se trouve.
Bon, c'est quand elle veut qu'elle me rem...Merci Dastan. Y a pas à réfléchir deux heures pour savoir que ce n'est que grâce à lui que sa très charmante demi-sœur m'envoie une corde pour que je puisse remonter à bord. Cependant, je sens que le calvaire n'est pas fini. Pour commencer, quand on est détrempé, la corde ça tue les mains, ensuite, les fringues détrempées, c'est lourd quand vous avez pas d'autres prises qu'une corde et la coque d'un navire.
Enfin, je finis quand même par passer un bras par dessus le bastingage avant de m’effondrer sur le bois du pont, trouvant madame le général juste dans mon champ de vision quand je rouvre les yeux. Sincèrement, y a meilleure vision, et pas que sous l'effet de l'alcool... Je finis par me relever, me débarrassant d'un tour de bras du surplus de mes vêtements détrempés, ne gardant bientôt sur moi que mes bottes et mon pantalon, avant de passer une main sur mon cou, mes doigts parcourant rapidement la ligne rouge qui y reste toujours marquée après la fichue corde que Dastan a presque su m'épargner. Quelle idée de me perdre sur un trois-mâts bourré de cordages quand la vue d'une corde me donne ainsi de l'urticaire, franchement...
"Magnifique, vraiment. Et maintenant on fait quoi? Commences déjà par me rendre ce que tu m'as pris."

Regarder cet imbécile d'Offryn remonter sur le bateau me coûte vraiment. Je dois avouer que j'aurais aimé le regarder faire la brasse encore quelques minutes. Les requins n'ont même pas eu le temps de venir jouer avec lui. Je grimace en l'observant passer au dessus du bastingage dans le sens inverse de celui que je lui ai fait prendre à l'aller. Trempé jusqu'aux os, il retire son haut. C'est là que les choses se corsent. Je sais que c'est un abruti, un minable, une crapule sans honneur, un rat d'égoût de la pire espèce, mais je perds toujours un peu mes moyens lorsqu'il enlève ses vêtements. Je me racle la gorge et maudis mes joues que je sens chauffer légèrement au niveau des pommettes. Lorsqu'il me demande de lui rendre les pommes, j'entrevois une issue à ma gêne. La colère justifiera le rouge de mon visage. « Non mais t'as pris la lune pour une lanterne ou quoi ?! Tu as volé de la nourriture Offryn ! Je ne vais certainement pas te la rendre. Elle va retourner dans la cale, et je te déconseille d'y retourner si tu tiens à tes parties génitales ! » Je lui crie dessus pour me défouler. En vérité, je suis plus en colère à cause de l'effet qu'il me fait que pour son petit vol. Je suis sûre que ce crétin est parfaitement conscient de mon embarras en plus. Il en profite pour me mettre dans une situation délicate. Pas facile tous les jours d'être une femme sur un bateau plein d'hommes musclés au teint buriné par le soleil. Agacé, je ferme les yeux et pince l'arête de mon nez entre mon pouce et mon index en soupirant. « Je commence vraiment à en avoir marre de ton comportement. Ne m'oblige pas à me répéter. » Mon ton est plus calme, mais il n'en est pas plus gentil pour autant. Je rouvre les yeux et évite précautionneusement de regarder son torse nu. « Et puis va enfiler une chemise propre, nom de dieu !!! » Je lui hurle dessus avant de lui tourner le dos et d'aller remplacer le quartier maître à la barre. Diriger ce rafiot me calmera. J'espère.

Oui, j'ai volé deux pommes, et après? A ma connaissance, j'suis entouré de voleurs ici, à moins que la définition de "pirate" ai changé depuis ma dernière traversée. Enfin bref, elle peut toujours s'énerver, j'm'en bat royalement les miches, d'autant plus qu'il ne m'est pas franchement difficile de percevoir qu'elle se forcerait presque pour rester de mauvais poil. En vérité, c'est franchement amusé que je réponds à sa dernière "directive", d'aller enfiler une chemise propre, attendant qu'elle se soit suffisamment éloignée pour penser que je ne répliquerais pas.

"Pour ça il me faudrait la voler. J'ai cru comprendre que ça ne te conviendrait pas."

Je récupère mon tas de linge, toujours sur le pont, avant de l'envoyer voler derrière le mat en attendant de m'en occuper plus tard, et monte à sa suite sur le pont supérieur, m'installant dos contre le bastingage à peu de distance du gouvernail.

C'est quoi ton problème avec moi? T'es au courant que tu en serais pas là si j't'avais pas aidé au départ? Comme si Dastan acceptait à bord toutes les greluches qui veulent y monter..."

Ouais, bon, j'connais pas franchement l'histoire de l'arrivée de Leana à bord, j'dois l'avouer, mais Milah étant encore on ne peut plus présente à bord à cette époque, et Dastan ne jurant que par elle, je doute qu'il en ai pris la décision seul...

A la barre, je me contente de regarder l'horizon afin de ne plus songer à la sensation de chaleur qui m'est montée au joues lorsque ce crétin d'Offryn a retiré sa chemise. De toute façon, ça ne veut strictement rien dire. J'ai ce problème avec tous les hommes, ça ne signifie pas que j'en pince pour lui. Ha ! Et puis quoi encore ? Non mais sans blague. Je respire profondément et laisse la douce odeur d'eau salée me détendre tout à fait. Lorsqu'Offryn repasse pour en mettre une seconde couche, son torse nu ne me fait presque plus d'effet. Sûrement parce que je ne le regarde pas directement, trop occupée à éviter d'accrocher un récif. Je lève les yeux en l'écoutant parler. Je n'ai pas vraiment de problème avec lui et je lui doit beaucoup, c'est vrai, mais j'ai des principes moraux qu'il ne peut pas comprendre. Voler de la nourriture, c'est mettre en péril la vie du reste de l'équipage, surtout lorsque nous sommes loin de pouvoir nous ravitailler comme maintenant. L'égoïste, la trahison, ce sont des actes que je ne pardonne pas. Même les pirates ont certains codes d'honneur.

« Je ne t'en veux pas vraiment, imbécile. C'est juste que le vent manque et nous ne savons pas quand nous aurons la possibilité de faire le plein de provisions. Tu devrais économiser les réserves. »

Je plisse les yeux et regarde au loin, certaine d'avoir vu passer un aileron de requin. Je n'ai absolument pas envie de finir dans son estomac. Bien sûr nous pourrions pêcher pour ne pas mourir de faim, mais l'eau potable ? Je ne veux pas mourir de déshydratation, ce serait vraiment ignoble et indigne d'une pirate !

« Ce calme plat me met à cran, c'est tout. »

Je lève les yeux et regarde le soleil qui est à son zénith. Il fait une chaleur insoutenable. Combien de temps allons-nous dériver dans les courants ? Sans vent, impossible de se déplacer autrement et ce courant-ci nous emmène vers le large, toujours un peu plus à chaque seconde qui passe.

Ok, je peux comprendre que le calme lourd qui habite le navire la mette à cran. Même l'activité à bord semble ralentie quand le vent n'est pas de la partie. J'incline rapidement la tête en signe de compréhension avant de m'accouder au bastingage du pont supérieur, observant l'océan sans fin qui nous fait face.

"J'ai toujours dis à Das de prendre plus plutôt que de prendre moins. Enfin, c'est pas la peine d'épiloguer deux heures sur la tête de mule qu'est ton fr.."

Je jettes un coup d’œil au pirate montant les marches nous rejoignant tout en taisant la fin de ma phrase, sachant qu'il n'est que l'affaire de Will d'offrir à Dastan l'information de la présence à bord de sa demi-sœur. Je ne suis pas fan des ragots colportés, surtout quand ils ne me sont d'aucun profit, et à moins d'une faute d'inattention dans mes paroles, on ne pourra pas m'accuser d'être la source de celui là.
L'homme arrivé à coté de nous semble porter une fascination particulière pour les flots sous le navire et je le hèle pour savoir de quoi il en retourne. Requins? Content d'être remonté à bord moi.

"Et ben descendez un filet. Pour une fois qu'il servira à choper un truc comestible et pas une sirène ..."

Non, je ne suis pas capitaine de ce navire, et je n'irai jamais à outrepasser la hiérarchie de cet équipage pour donner des ordres à la place du capitaine. Mais là, il me semble légèrement une évidence, plusieurs à bord se plaignant de la diminution des rations en silence, qu'une pèche pareille pourrait se révéler intéressante. Puis, ça occuperait un peu l'équipage, parce qu'ils dorment tellement debout que même Dastan ne trouve apparemment rien de mieux à faire que tourner en rond dans sa cabine à ressasser les mêmes pensées ... oui, ce type est totalement névrosé, et ce même si ses raisons sont justifiées.
Je sens que l'homme va me rappeler que je ne suis qu'à peine membre de cet équipage, mais la lumière doit se faire ans son cerveau en cours de route et il finit par faire demi-tour pour suivre l'idée proposée. Et bien, si ils se débrouillent bien, on aura du requin au diner ...

"Y a un truc bien avec l'océan Willow. C'est qu'en général on y trouve de quoi manger."

Bon, pour l'eau on repassera, mais j'ai pas piqué d'eau, j'ai piqué deux pommes, donc, fin de la discussion ... enfin presque.

"Tu sais à combien de jours des côtes on se trouve?"

Oui, j'ai encore quelques affaires urgentes à traiter, de celles qui pourraient peut-être bien m'offrir un nouveau passage sur l’échafaud, et je doute que Dastan soit là à chaque fois pour empêcher la corde de m'étrangler ... à cette pensée, je glisse de nouveau une main à ma gorge, passant un doigt sur la cicatrice restée gravée sur ma peau depuis tant d'années. La corde, je l'ai croisée de trop près pour souhaiter la revoir un jour, même si nombre de mes "amis" disent que c'est la fin qui m'attend.

Curieusement, la présence d'Offryn à mes côtés me rassure presque maintenant. Je dois avoir un sérieux problème de déshydratation pour me sentir en sécurité avec cet escroc malhonnête. Je secoue la tête comme pour me remettre les idées en place et met un petit coup de gouvernail pour éviter un récif qui dépasse de l'eau à quelques mètres devant le bateau. Nous dérivons, et que fait Dastan pendant que son équipage cède lentement à la panique ? Il reste là, à ruminer ses pensées dans sa cabine de capitaine. Je sursaute lorsqu'Offryn commence à entamer la discussion à propos de notre lien de sang, mais je me sens rassurée de voir qu'il s'arrête dès qu'un matelot s'approche. Il tiendra son engagement et ne vendra pas la mèche. Un petit sourire s'étire sur mes lèvres et je reporte mon attention sur l'horizon, le laissant discuter avec cet homme qui nous a interrompus. Oh mon dieu, dit comme ça, ça sonne tellement mal... Hum hrm, il vaut mieux ne pas songer à ça maintenant, alors que je viens tout juste de récupérer une couleur de visage normale.

Le matelot s'éloigne. Curieusement, il a l'air d'écouter ce que lui dit Offryn. J'imagine que l'équipage est désespéré à ce point qu'il se met à obéir à ce truand sans émettre de protestations. Je soupire et regarde autour de nous. Pas de navires en vue. Pas de terre non plus. J'ai trop chaud. Incapable de supporter cette chaleur insupportable, je décide finalement de retirer ma tunique plaquée en cuir. En dessus, je ne porte qu'une large tunique en coton blanc avec un col en V ouvert sur le début de ma poitrine. Je ne suis pas vraiment dérangée par le regard des autres. De toute façon tout le monde sur ce navire sait que me toucher c'est s’assurer de perdre sa main. Je hoche la tête en réponse à la remarque d'Offryn concernant la nourriture. « J'ai surtout peur de mourir de soif. Ce ne serait pas la première fois que je manquerais de nourriture, je peux tenir plusieurs jours sans manger, mais le manque d'eau va bientôt nous faire voir des hallucinations. » Je soupire et essuie de nouveau mon front. L'emplacement au gouvernail est en plein soleil. Parfois je me demande ce que je serais devenue si j'avais choisi de faire autre chose que pirate. Je hausse les épaules et essaye de calculer notre distance par rapport à la force du courant et la distance déjà parcourue avant que le vent ne nous lâche. « Je dirais une semaine. Peut être deux ou trois selon la direction du courant. Ce qui sûr, c'est que nos provisions ne suffiront pas. » Et je n'aime vraiment pas cette idée.

"D'un aut coté, on est tous destinés à crever un jour ... alors, déshydratation, noyade, décapitation ... le seul truc que j'conseille pas, c'est la pendaison. Y a trop de risques de voir un conard vous sauver la peau au dernier moment."

Bon ok, à vrai dire je ne peux nier être bien content que Dastan soit arrivé à temps pour moi, même si deux minutes plus tôt ça aurait également été génial. Tout ce que je peux vous dire c'est que les gens racontent des conneries quand ils disent qu'on voit sa vie défiler devant ses yeux ... personnellement, j'crois que c'est la liste des mecs qui me feront la peau là-haut que j'ai vu défilé ... et après près de quatorze ans de rab, j'tiens à dire que cette liste s'est plus qu'allongée.

"Ce qu'il nous faudrait c'est un bon coup de vent. Que ces voiles servent enfin à quelque chose."

Avec le risque de se retrouver emmenés plus au large encore, j'en suis conscient, mais après tout, doit bien y avoir une terre de l'autre coté de l'océan non?
Je détourne mon attention de la jeune femme à coté de moi quand l'agitation sur le pont nous apprend que les matelots ont réussi à capturer le requin, qui, d'ailleurs, se débat maintenant sur le pont en claquant violemment des mâchoires. Ouais, j'suis bien sur le pont supérieur moi.

"Bon, requin au menu pour ce soir. Ça va nous changer un peu, pis, avec une bonne rasade de rhum, c'pas mauvais du tout en fait ..."

Oui, bon, si on doit limiter la consommation d'eau, on peut bien compenser par la réserve de rhum non? C'pas vraiment pareil, mais ça désaltère quand même.

Je hoche la tête affirmativement en réponse à la remarque d'Offryn. En effet, un bourrasque de vent serait la solution. Je pourrais rouvrir les voiles et nous rapprocher d'un port quelconque. Dommage que la nature ai décidé de ne pas nous offrir cette chance. Mon attention est attirée par le raffut créé par la présence du requin sur le pont. La bonne idée aurait été de le tuer dans le filet avant de le remonter. Parfois ces hommes font tout pour qu'on les traite d'idiots. Je soupire et sors mon pistolet avant de tirer directement dans la tête du requin, stoppant ses mouvements une bonne fois pour toute. Quelques matelots ronchonnent, pas très contents que je sois une fois encore plus rapide qu'eux à réagir. Et puis ça fait une belle distance entre le pont et mon emplacement, donc on peut aisément estimer que je vise bien. Certains ont encore du mal à admettre qu'une femme peut être aussi dangereuse qu'eux. Ils apprendront (comme les précédents) à me respecter s'ils ne veulent pas finir comme le squale.

Je reporte mon attention sur l'horizon et sur Offryn qui est toujours à mes côtés. Un mince sourire s'étire sur mes lèvres. C'est vrai que je ne cracherais pas sur une bonne bouteille de rhum. C'est vraiment la boisson parfaite pour tout pirate qui se respecte. Je glisse un regard amusé vers la crapule qui me sert d'interlocuteur. « Je vais encore te battre si on fait un concours de boisson. Tu ne tiens pas si bien l'alcool que ça. » Je dis en me retenant de justesse de pouffer de rire. La dernière fois je me souviens vaguement l'avoir pendu par les pieds le long du mat. Il battait des bras et hurlait " je peux voleeeer ". C'était assez drôle à voir, je l'admet. Je tourne la tête juste à temps pour voir un récif à babord. « Oh p...» Je ne finis pas ma phrase qui de toute façon aurait été bien grossière et file un grand coup de gouvernail pour éviter le rocher pointu. Une seconde supplémentaire d'inattention aurait été fatale au navire. Je plisse les yeux pour regarder devant nous et remarque que le courant nous emmène vers... Oh mon dieu. C'est une forêt de récifs. Devant nous ressortent des milliers de rochers saillants. Je ne suis pas assez bon pilote pour tous les éviter. Il va falloir laisser le maître de ces eaux prendre ma place. « Offryn, va chercher Dastan. Maintenant ! » Je lui ordonne en évitant un nouveau récif de justesse. De toute façon, le capitaine a bien du remarquer que le bateau tangue.

Tout se passe si vite que je vois presque le requin perdre toute trace de vie avant que le coup de feu ayant atteint sa tête ne soit parti, et, de même que la moitié des hommes se trouvant sur le pont, je me retourne vers Willow, haussant un sourcil en me rappelant un autre point commun entre le frère et la sœur : leur efficacité est à prendre en compte avant de leur chercher des noises.

Ce petit incident passé, je m'adosse à la balustre du pont supérieur, dos au pont, observant le ciel au dessus de nous tandis que les paroles de Will me rappellent la dernière fois que j'ai tenté de lui prouver qu'elle n'avait aucune chance de boire plus que moi. A vrai dire, je dois avouer que je ne me souviens pas vraiment du reste de cette soirée, à ceci près que Dastan m'a conseillé d'éviter de la défier de nouveau sur ce point... avant de me faire brosser tout le bois des deux ponts à la brosse à dents. La maniaquerie de ce pirate est juste impossible à vivre quand on se trouve en être la victime.

Le violent coup de gouvernail de Will me déséquilibre et je ne dois qu'à mes réflexes de rester debout, me demandant rapidement ce qui se passe avant qu'elle n'éclaire mes lanternes. Elle, et l'arrivée de Dastan, montant les marches quatre à quatre pour nous rejoindre, prenant finalement la place que Will lui laisse au gouvernail pour manier son navire.
"Bon, te voilà exaucée. Et maintenant Das', tu gère ou on doit commencer à purifier nos âmes de nos pêchés?"
"Essaye même pas, ça te prendrais tellement de temps que tu serais mort de vieillesse avant. Et tais-toi donc, au passage, j'aimerai autant éviter de déchirer la coque dans ces écueils."

Ouais, autant éviter de réitérer l'exploit de la dernière traversée...et de celle d'avant ... et pour celle encore avant, je ne peux pas me prononcer, n'ayant pas été à bord.

"Bon Will, requin?"

Je suis on ne peut plus heureuse de voir Dastan débarquer en sautant les marches, alors je lui laisse volontiers le gouvernail. J'ai beau être douée pour la navigation, il y a des choses que seul un capitaine peut faire avec un navire. J'assiste sans trop m'en occuper à la joute verbale entre Offryn et mon demi-frère. Je n'ai vraiment pas envie de m'en mêler, ces deux-là passent beaucoup trop de temps à se balancer des fions pour que j’éprouve la moindre envie de faire le tampon. J'approuve l'idée du bandit et le suit sur le pont afin d'aider à récupérer ce qui peut l'être sur notre redoutable prise. J'en profite d'ailleurs pour mieux regarder l'impact faite par mon pistolet en plein dans sa boîte crânienne. Bon sang, c'est vrai que je l'ai sacrément pas raté. Les hommes reculent instinctivement en me regardant et je soupire.

« C'est bon les gars, je vais pas vous tuer. Faites pas vos chocottes et commencez à découper ce bidule. » Je grommelle suffisamment fort pour que chacun sur le pont puisse m'entendre.

Presque automatiquement, ils roulent des épaules et se mettent au boulot. Y a rien de tel pour faire bosser un homme que de taper dans sa fierté. C'est là que ça fait le plus mal. Je tourne la tête vers Offryn. Enfin... c'est là que ça fait le plus mal chez la majorité des hommes, à condition d'avoir une once de fierté.

« Offryn, passe moi ton couteau. » Je lui demande en tendant la main.

J'ai laissé le mien là-haut, près du gouvernail, et je n'ai pas tellement l'intention d'y retourner toute seule. Ce n'est pas tant que j'ai peur de Dastan, mais... Disons que je ne sais pas trop comment agir en sa présence. Il ne sait toujours pas que je suis sa demi-sœur. Il ne faut jamais qu'il le sache.

Après qu'elle eut approuvé ma proposition, je suis Will en descendant les quelques marches menant au pont avant de rejoindre l'attroupement réuni autour de sa dernière victime, ou ce prédateur des mers ayant croisé plus grand prédateur que lui ... qui aurait pensé qu'une femme à bord d'un navire pouvait se montrer si impressionnante ... bon ok, ce n'est certainement pas n'importe quelle idiote qui pourrait survivre longtemps sur un navire rempli de marins que l'éloignement des cotes aurait tendance à frustrer plus que légèrement ... quoi? moi aussi je squatte les bordels en revenant sur la terre ferme, rassurez-vous pour moi...
Mes yeux se lèvent aux ciels en voyant la plupart es crétins composant l'équipage de Dastan faire les coqs à la seconde où Will met à mal leur fierté. Sans déconner les gars, tout le monde ici sait que personne ici n'est prêt à se la taper, ça sert à quoi d'en faire autant? Je me contente donc d'ignorer son commentaire avec superbe et de lui tendre le couteau habituellement placé à ma ceinture, garde en avant, lorsqu'elle me le demande.

"Pendant c'temps là, j'ramène un tonneau de rhum de la cale tiens. Z'êtes gentils les gars, pour une fois, laissez moi autre chose que les arêtes, sinon le tonneau, j'me le siffle tout seul!"

Je n'attend ni la réponse de Will, ni celle de Dastan, trop concentré sur sa direction pour écouter mes "salades", sans doute, pour disparaitre dans la cale pour récupérer un tonneau.